Madame Charles Badeuil

— Fille cadette de Joseph-Casimir Fouan. Sœur de la Grande, du père Fouan et de Michel Fouan, dit Mouche. Femme de M. Charles. Elevée dans la couture, placée à Châteaudun, elle avait été laissée en dehors du partage des terres, on l’avait indemnisée en argent. Devenue maîtresse d’une maison de tolérance à Chartres, elle a puissamment secondé son mari, ayant l’œil partout, ne laissant rien perdre, tout en sachant accepter, quand il le fallait, les petits vols des clients riches. Retirée avec son mari à Rognes après fortune faite, madame Charles est une dame de soixante-deux ans, à l’air respectable, aux bandeaux d’un blanc de neige ; elle a le masque épais et à gros nez des Fouan, mais d’une pâleur rosée, d’une paix et d’une douceur de cloître, une chair de vieille religieuse ayant vécu à l’ombre. Elle donne le bon exemple en allant à la messe et soigne attentivement l’éducation de sa petite-fille Elodie Vaucogne, ange de candeur qui ne doit rien connaître des basses réalités. Très attachée d’ailleurs aux souvenirs de sa vie active, madame Charles affectionne un vieux chat jaune qui, pendant quinze ans, a ronronné sur tous les lits du 19, le chat favori qui assistait aux choses en muet rêveur, voyant tout de ses prunelles amincies dans leur cercle d’or.

Du fond de sa retraite bourgeoise pleine de soleil, une véritable nostalgie ramène la vieille dame vers son ancienne maison aux persiennes toujours closes. Dans les moments de presse, elle accourt à Chartres pour donner un coup de main à sa fille Estelle, qui lui a succédé. Et elle rapporte à Rognes des lots de vieux linge imprégné d’une persistante odeur de musc, des draps en loques, des chemises fatiguées, qu’elle distribue aux paysans de la famille, flattés dans leur amour du linge, la vraie richesse après la terre. Madame Chartes, convaincue que sa petite-fille ne sait rien de rien, connaîtra la plus douée émotion de sa vie lorsqu’elle verra Elodie obéir à une vocation irrésistible et perpétuer la race des Charles en reprenant le 19 et en sauvant de la ruine l’œuvre glorieuse des grands parents. (La Terre.)