Renée Béraud Du Châtel

— Fille aînée du président Béraud Du Châtel. Femme d’Aristide Rougon, dit Saccard. Née à Paris en 1836, elle avait huit ans lorsque sa mère est morte. Elle reste pendant onze ans pensionnaire chez les Dames de la Visitation, grandissant loin du foyer paternel, se faisant une éducation fantasque, perdant peu à peu les vertus de sa race et glissant à des désirs inavouables, à des curiosités vicieuses qui, vers l’âge de dix-neuf ans, pendant des vacances, chez sa bonne amie Adeline, la livreront sans défense à un viol brutal. Elle s’éveillera pleine de mépris pour elle-même, perdue au bien et disposée, dans un amour des choses logiques hérité de son père, à aller jusqu’au bout d’une dépravation beaucoup plus cérébrale que charnelle, à satisfaire toujours un insatiable besoin de savoir et de sentir. Pour dissimuler sa faute, on l’a mariée avec Aristide Saccard et elle se trouve bientôt lancée dans le monde interlope du second Empire. Une fausse couche heureuse a supprimé l’enfant qu’on redoutait.

C’est alors une existence folle. Renée, avec ses étranges cheveux fauve paie, sa mine de garçon impertinent, s’étourdit en des excentricités tapageuses; elle mange vile sa fortune personnelle, est entretenue d’argent par son mari, qui la jette systématiquement aux dissipations éclatantes; elle a des amants successifs, Rozan, Simpson, Chibray, Mussy, pousse même la curiosité jusqu’aux passades d’un jour, devient l’une des beautés les plus en vue du règne et rencontre sa sensation la plus aiguë un soir de bal aux Tuileries, lorsque l’empereur, déjà lourd, la face dissoute, les reins flottants, s’arrête quelques secondes devant elle et, en présence de toute la cour, l’admire de son œil plombé.

A vingt-huit ans, ayant assouvi tous ses désirs, possédant tout et voulant autre chose, horriblement lasse, elle est en quête d’une jouissance rare, inconnue, et, par un entraînement où tout l’a poussée, elle glisse bientôt à un inceste avec le fils de son mari, le joli et frêle Maxime, pimentant cet amour criminel d’un mélange de remords bourgeois et d’extrême volupté, trouvant enfin le frisson nouveau qu’elle cherchait. Mais, entre la passivité du fils et la terrible coquinerie du père, entre Maxime qui la délaisse comme une loque et Aristide qui profite cyniquement du suprême déshonneur pour édifier une fortune nouvelle, la jeune femme qui s’était crue Phèdre, sent brusquement qu’elle n’a été dans la vie des Saccard qu’un jouet misérable. La folie monte rapidement en son cerveau détraqué. Dans l’éclat flamboyant de Paris en fête, elle achève de goûter à tout, joue, essaye de boire; c’est la fin irrémédiable d’une femme et, quelques mois après, vieillie, usée, sanglotante devant ses souvenirs d’enfance, elle est emportée par une méningite aiguë. (La Curée.)

(1) Renée Béraud Du Châtel, mariée en 1855 à Aristide Rougon, dit Saccard; meurt en 1864, sans enfants. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)