Sigismond Busch

— Frère de l’usurier. Imberbe, cheveux châtains, longs et rares, vaste front bossu. C’est une intelligence. Il a été élevé dans les universités allemandes, parlé plusieurs langues, s’est lié avec Karl Marx et professe le socialisme avec une foi ardente, ayant fait le don de sa personne entière à l’idée d’une prochaine rénovation sociale, qui doit assurer le bonheur des pauvres et des humbles. C’est un grand garçon distrait, resté enfant, tellement insoucieux de sa vie matérielle qu’il mourrait sûrement de faim si son frère ne l’avait recueilli. L’idée de charité le blesse, il n’admet que la justice et organise la société de demain, remuant des milliards, déplaçant la fortune universelle et cela, dans sa chambre nue, sans une autre passion que son rêve, tellement absorbé qu’il ne sait même pas ce que fait son frère dans la pièce voisine, ignorant tout de l’effroyable négoce [36].

Il établit le plan définitif de l’humanité future, avec l’unique amusement de s’imaginer les plaisantes ironies de la nouvelle justice distributive, se plaisant à contempler la Bourse, qu’il domine de sa fenêtre, se frottant les mains devant l’œuvre des financiers accapareurs, parce que toute centralisation mène au collectivisme, à la transformation des capitaux privés en un capital social unitaire. Il annonce à Aristide Saccard la suppression de l’argent monnayé [314] et, plein de son rêve, ayant achevé en sa tête la construction idéale de la cité de justice et de bonheur, il meurt à trente-huit ans, terrassé par la phtisie. (L’Argent )