Dejoie

— Garçon de bureau au journal l’Espérance. Après son service militaire, a été en place chez Durieu, mari de madame Caroline, puis chez Lamberthier, enfin chez Blaisot, un banquier qui a sauté. La mauvaise chance de sa vie est d’avoir épousé une cuisinière sans jamais réussir à se placer dans les mêmes maisons qu’elle. Dejoie a été la véritable mère de sa fille Nathalie, l’élevant, la surveillant avec des soins infinis, le cœur débordant d’une adoration grandissante [135]. A cinquante ans, il est veuf et sans place, possédant pour tout bien une somme de quatre mille francs, économies de sa femme, qui doivent fructifier pour former les six mille francs nécessaires à la dot de Nathalie.

Grand et sec, borné mais très droit, très bon, rompu à la discipline militaire, Dejoie est recommandé par madame Caroline à Saccard, qui le fait entrer comme garçon de bureau à l’Espérance, journal catholique racheté par la Banque Universelle. Le brave homme a placé son argent dans celte affaire, il est dès lors mordu d’un âpre désir de gain et ne vit bientôt que pour l’émotion joyeuse de voir monter ses actions, écoutant aux portes, recueillant les moindres mots de Saccard comme des paroles d’oracle [199]. II n’a d’abord songé qu’au bonheur de sa fille, mais devant la hausse continue des titres, devant son petit capital doublé, il rêve de constituer pour lui-même une modeste rente [262]; son chiffre atteint, il garde encore les actions pour devenir plus riche, il vit dans un rêve doré; puis, en une terrible tempête de Bourse, la Banque s’effondre, il est ruiné. C’est tout à coup la noire misère, un écrasement total, achevé par le brusque abandon de Nathalie partie sans même dire adieu. Mais dans celte intime détresse, Dejoie garde encore sa foi ardente en Saccard; il se persuade que tout serait sauvé si celui-ci pouvait sortir de prison [385]. (L’Argent.)