Deneulin

— Cousin des Grégoire. Comme eux, il a eu en héritage un denier des mines de Montsou; mais, tandis que les Grégoire grignotaient tranquillement leurs rentes, lui, ingénieur audacieux, tourmenté du besoin d’une royale fortune, s’est bâté de vendre lorsque la valeur du dénier a atteint le million. Sa femme tenait d’un oncle la petite concession des mines de Vandame, avec deux fosses, Jean-Bart et Gaston-Marie. Il entreprend l’exploitation de cette affaire qui doit donner de l’or, mais qui commence par engloutir le million, et, à l’heure où de gros bénéfices devraient se produire, il est sans ressources, devant une crise industrielle qui menace de tout emporter.

Bien qu’il ait dépassé la cinquantaine, ses cheveux coupés ras et ses grosses moustaches sont d’un noir d’encre ; il a le verbe haut, le geste vif, avec une allure d’ancien officier de cavalerie. Mauvais administrateur, d’une bonté brusque avec ses ouvriers, il se laisse piller depuis la mort de sa femme, lâchant aussi la bride à ses filles. Une vieille haine existe entre la concession de Montsou et celle de Vandame; malgré la faible importance de cette dernière, sa puissante voisine enrage de voir, enclavée dans ses soixante-sept communes, celte lieue carrée qui ne lui appartient pas; après avoir essayé vainement de la tuer, elle complote de l’acheter à bas prix, lorsqu’elle râlera. Mais Deneulin, déclare que, lui vivant, Montsou n’aura pas Vandame; il déteste les gros bonnets de la compagnie, ces marquis et ces ducs, ces généraux et ces ministres, des brigands qui vous enlèveraient jusqu’à votre chemise, à la corne d’un bois [90]. Lui ne trône pas au loin, dans un tabernacle ignoré; il n’est pas de ces actionnaires qui payent un gérant pour tondre te mineur, et que celui-ci n’a jamais vus; il est un patron, il risque autre chose que son argent, il risque son intelligence, sa santé, sa vie [336].

Mais quand la grève éclate, il a beau tenir tête aux révoltés [409], combattre l’émeute en autoritaire courageux, c’est lui qui paye les frais de la guerre. Acculé à la ruine, égorgé par les régisseurs de Montsou, il subit la puissance invincible des gros capitaux, si forts dans la bataille qu’ils s’engraissent de la défaite en mangeant les cadavres des petits, tombés à leur côté [429]. C’est à peine s’il tire de la cession de Vandame l’argent nécessaire pour payer ses créanciers et il s’estime heureux d’être gardé, sous les ordres d’Hennebeau, à titre d’ingénieur divisionnaire, se résignant ainsi à surveiller, en simple salarié, ces deux fosses où il a englouti sa fortune. C’est le glas des petites entreprises personnelles, la disparition prochaine des patrons, mangés un à un par l’ogre sans cesse affamé du capital, noyés dans le flot montant des grandes compagnies [505]. (Germinal.)