Louis Dubuche

—Fils aîné d’une boulangère de Plassans. Camarade d’enfance de Claude Lantier et de Pierre Sandoz. Était pensionnaire au collège; il avait dès cette époque les jambes lourdes, la chair endormie du bon élève piocheur. Sa mère, très âpre, très ambitieuse, l’a envoyé à Paris, où il suit les cours de l’Ecole comme élève architecte. C’est un gros garçon brun, au visage correct et bouffi, les cheveux ras, la moustache déjà forte. Il habite rue Jacob, au sixième étage d’une grande maison froide et vit chichement des dernières pièces de cent sous que ses parents ont placées sur lui avec une obstination de juifs qui escomptent l’avenir à trois cents pour cent. Malgré quinze mois d’apprentissage chez Dequersonnière, malgré son effort de gros travailleur, il a failli être retoqué à l’École ; l’imagination lui manque, il n’est ferré que sur la partie scientifique.

La pondération de sa nature, son respect pour les formules établies sont bousculés par la peinture déréglée de Claude, mais comme ses amis le plaisantent et le traitent de sale bourgeois, il bat en retraite et affecte une allure très révolutionnaire. Lorsque Claude le pousse vers une nouvelle formule architecturale, l’édifice où la démocratie sera chez elle, loin des bijoux d’art de la Renaissance, quelque chose d’immense et de fort, disant la grandeur de nos conquêtes, il ne demande que le temps d’arriver et il promet de réaliser des merveilles quand il sera libre. En attendant, la nécessité de vivre l’a poussé vers de basses besognes, en dehors de ses travaux d’École; il gagne vingt-cinq sous de l’heure à remettre les maisons debout, chez un architecte incapable de se tirer d’un décalque, et qui travaille pour le grand entrepreneur Margaillan. Dès lors, sa continuelle préoccupation d’une fortune prompte l’attire auprès de ce dernier; il renonce au prix de Rome, dans la certitude d’être battu, expose un projet de pavillon, fortement retouché par Dequersonnière, décroche une médaille, grâce à ta carrure tranquille de son patron qui préside le jury, et comme cette récompense emballe le père Margaillan, vieux parvenu illettré qui rêve un gendre à diplômes, Dubuche devient le mari de la pâle Régine, réalisant ainsi son ambition de grosse richesse [215].

Dès ce jour, il ne vient aux jeudis de Sandoz qu’avec la peur de compromettre sa fortune nouvelle, évitant de parler de sa femme pour ne pas avoir à l’amener, expliquant lentement les tracas de son installation, le travail qui l’accable, depuis qu’il s’occupe des constructions de son beau-père, toute une rue à bâtir, près du parc Monceau [260]. Mais ce bonheur dure peu. Après une invention déplorable, un four à briques où deux cent mille francs ont été engloutis, Dubuche est revenu aux constructions, il a prétendu appliquer les anciennes théories qu’il tenait de ses camarades, tout un ensemble qui doit renouveler l’art de bâtir, mais mal digéré, appliqué hors de propos, sans flamme créatrice. C’est une suite de catastrophes qui mettent Margaillan hors de lui, un désastre lamentable où la science du gendre est battue par l’ignorance du beau-père, où l’École fait banqueroute devant un maçon. Les millions ne peuvent péricliter plus longtemps, Dubuche est relégué à la Richaudière, ainsi qu’un invalide de la vie.

Epaissi par l’argent, gâté, désorienté, il en est réduit à vivre dans l’amertume des reproches insultants de son beau-père; l’office et l’antichambre le traitent en mendiant ; il est partagé entre les potions de sa femme malade et les soins à donner à ses deux enfants, fœtus venus avant terme, condamnés à la scrofule et à la phtisie, et que l’on élève sous de l’ouate [343]. Son unique satisfaction est d’avoir rendu à ses parents ce qu’ils ont avancé pour l’instruire ; il a fait mettre pour eux une rente au contrat. Peu d’années ont suffi à le vieillir: son visage bouffi s’est ridé, d’un jaune veiné de rouge, comme si la bile éclaboussait la peau, tandis que les cheveux et les moustaches grisonnent déjà; le corps s’est tassé, une lassitude amère appesantit chaque geste. C’est la défaite de l’argent, aussi lourde que celles de l’art [425]. (L’Œuvre.)