Fouchard

— Père d’Honoré. Oncle maternel d’Henriette et de Maurice Levasseur. Un paysan de Remilly, devenu boucher par besoin de lucre ; il promène sa viande dans vingt communes des environs. C’est un grand vieillard en blouse, à la rude chevelure blanche, à la face carrée, coupée de larges plis, au nez fort, aux yeux gros et pâles, au menton volontaire [157]. D’une avarice noire, d’une impitoyable dureté, il s’est opposé au mariage d’Honoré avec la petite servante Silvine Morange, mais il a gardé tranquillement la fille, espérant à tort que tes jeunes gens se contenteraient ensemble, sans se marier. Après dix-huit mois de patience, Honoré a rompu avec son père et s’est engagé par un coup de tête. Fouchard a gardé la servante, dont il était content, et l’a vue, avec plaisir, séduite par Goliath Steinberg, ce qui avait l’avantage déterminer l’aventure [96].

A la veille du passage des troupes françaises, en marche vers Sedan, Fouchard a fait disparaître son bétail, les quelques animaux à son service, ainsi que les bêtes réservées à sa boucherie, les cachant au fond de quelque carrière abandonnée ; il a passé des heures à tout enfouir chez lui, le vin, le pain, les moindres provisions, jusqu’il la farine et au sel ; et il refuse de donner même un verre d’eau aux soldats français [158], préférant attendre de meilleures occasions ; de vagues idées de commerce se sont ébauchées dans son crâne de vieillard patient et rusé. La mort de son fils, tué au calvaire d’Illy, lui arrache quelques larmes, mais il se console vite en traitant de bonnes affaires; il achète pour quarante-cinq francs trois chevaux d’officiers, volés sur le champ de bataille [435] ; il accepte Prosper Sambuc comme garçon de ferme, parce que le soldat, échappé à la captivité, ne lui coûtera pas de gages [412].

Tandis que râle le pays entier, saigné aux quatre membres, Fouchard trouve le moyen d’élargir tellement son commerce de boucher en détail qu’il abat à cette heure le triple et le quadruple de bêtes ; il a fait des marchés superbes avec l’ennemi, haussant les épaules devant le muet reproche des voisins, disant que c’est son patriotisme, à lui, de ne pas donner gratis, aux Prussiens, de la nourriture par-dessus la tête [505]. Et ce paysan goguenard estime qu’il en a plus tué avec ses vaches malades que bien des soldats avec leur chassepot. Les francs-tireurs des bois de Dieulet, Guillaume Sambuc, Cabasse, Ducat, sont ses pourvoyeurs de bêtes crevées [021]. Un instant soupçonné d’avoir participé à l’exécution de Goliath Steinherg, il a été arrêté, maison le relâche peu après, grâce à l’intervention du capitaine de Gartlauben, ami des Delaberche. Fouchard, d’ailleurs, commence à en avoir assez des Prussiens, qui maintenant le chicanent sur la qualité de ses fournitures. Gros monsieur désormais, il ne montrera son magot qu’à la fin de la guerre [565]. (La Débâcle.)