Cécile Grégoire

— Fille de Léon Grégoire.  Elle n’est pas jolie, trop saine, trop bien portante, mûre à dix-huit ans, mais elle a une chair superbe, une fraîcheur de lait, avec ses cheveux châtains, sa face ronde au petit nez volontaire, noyé entre les joues [82]. Ses parents ne trouvent rien de trop beau pour elle [85]. Elle a été élevée à la Piolaine, dans une ignorance heureuse, dans des caprices d’enfant, ayant une maîtresse de piano et des professeurs, mais jetant le livre par la fenêtre, dés qu’une question l’ennuie. Les Grégoire la chargent de leurs aumônes ; cela rentre dans leur idée d’une belle éducation, il faut être charitable, ils disent eux-mêmes que leur maison est la maison du bon Dieu. Du reste, ils se flattent de faire la charité avec intelligence et, pour ne pas encourager le vice, ils ne donnent jamais d’argent, leurs aumônes sont toujours en nature, car c’est un fait connu, dès qu’un pauvre a deux sous, il les boit [100].

Quand la grève éclate à Montsou, Cécile sourit à cette idée du chômage, qui lui rappelle des visites et des distributions d’aumônes dans les corons [228]. Et cette fille de riche, longtemps désirée par ses parents, comblée ensuite de tous leurs biens, ne comprend rien aux révoltes des pauvres, à la fureur qui jette contre sa robe de soie, contre son manteau de fourrure, contre la plume blanche de son chapeau, les femmes de grévistes, en guenilles et affamées. Au milieu des furies, elle grelotte, les jambes paralysées, elle est sans force contre leur acharnement, c’est le hasard d’une diversion qui la sauve, ce jour-là, des mains de la Brûlé et des doigts du père Bonnemort [408]. Un peu plus lard, elle n’échappe pas à l’inconsciente représaille; elle retrouve l’homme à la face carrée, livide, tatouée de charbon ; c’est comme une fascination entre le vieux mineur, gonflé d’eau, d’une laideur lamentable de bête fourbue, détruit de père en fils par cent années de travail et de faim, et la belle et saine Cécile, grasse et fraîche des longues paresses et du bien-être repu de sa race. Les mains noires de Bonnemort sont attirées par le cou blanc de la jeune fille et elles le serrent jusqu’à l’étranglement [553]. (Germinal.)