Les Hautecœur

—Vieille famille noble, dont l’origine remonte au onzième siècle. Le chef de celte maison a été Norbert l », cadet de Normandie. Il a reçu en fief une forteresse jadis élevée par un successeur de saint Remy, l’archevêque Séverin, pour défendre le pays contre les Normands; c’était la forteresse de Hautecœur, à deux lieues en aval de Beaumont, sur le Ligneul, affluent de l’Oise. La descendance de Norbert 1er emplit l’histoire. Hervé IV, excommunié deux fois pour ses vols de biens ecclésiastiques, bandit de grandes roules qui a égorgé de sa main plus de trente bourgeois d’un coup, a sa tour rasée par Louis le Gros, auquel il a osé faire la guerre. Raoul 1er, qui s’est croisé avec Philippe-Auguste, périt devant Saint-Jean-d’Acre, d’un coup de lance au cœur. Jean V le Grand, en 1225, rebâtit la forteresse-, il élève en moins de cinq années ce redoutable château de Hautecœur, à l’abri duquel il rêvera un moment le trône de France; c’est lui qui donne les fonds nécessaires pour l’achèvement de l’église de Beaumont, où une chapelle consacrée à saint Georges se nommera désormais la chapelle Hautecœur et recevra les restes de Jean V et de ses descendants [64]; ce seigneur, devenu beau-frère du roi d’Ecosse, meurt dans son lit après avoir échappé aux massacres de vingt batailles. Félicien III, prévenu qu’une maladie empêche Philippe le Bel de se rendre en Palestine, y va pour lui, pieds nus, un cierge au poing, ce qui lui fait octroyer un quartier des armes de Jérusalem [88]. Hervé VII revendique ses droits au trône d’Ecosse. Jean IX, sous Mazarin, a la douleur d’assister au démantèlement du château [62].

Les marquis de Hautecœur et le clergé de Beaumont ont rempli les siècles de leurs démêlés, le château a mis en continuel péril les franchises de Beaumont; sans cesse des hostilités ont éclaté sur des questions de tribut et de préséance. Et le démantèlement du château a été le triomphe de l’église. Plus tard, la branche aînée éteinte, un Hautecœur de la branche cadette, Jean XII, revient comme évêque à Beaumont, et va commander à ce clergé, toujours debout, qui, après quatre cents ans de lutte, a vaincu ses ancêtres [61]. II préside chaque année la procession du Miracle, qui date de son grand aïeul Jean V. La légende assure qu’une peste affreuse ayant ravagé la ville, Jean V de Hautecœur aurait combattu Je fléau et guéri les malades en les baisant sur la bouche et en disant : « Si Dieu veut, je veux » ; formule qui est restée la devise des Hautecœur : si dieu volt ie vueil, inscrite sur leur blason [68].

On prétend aussi que, dans la famille, les femmes meurent jeunes, en plein bonheur; deux, trois générations sont épargnées, puis la mort réparait, souriante, avec des mains douées, et emporta la femme ou la Fille d’un Hautecœur, les plus vieilles à vingt ans, au moment de quelque grande félicité d’amour. La légende les appelle les Mortes heureuses. Laurette, fille de Raoul ler, le soir de ses fiançailles avec son cousin Richard, croit marcher dans un rayon de lune et se brise au pied des tours. Balbine, femme de Henri VII, meurt de joie en voyant revenir son mari, qu’elle a, pendant six mois, cru tué à la guerre. Ysabeau, Gudule, Yvonne, Austreberthe ont été enlevées dans le ravissement de leur premier bonheur. On lit encore, sur de vieilles pierres tombales, encastrées dans les murs de la chapelle, les noms de Laurette et de Balbine. Et toutes ces Mortes heureuses reviennent, dit-on, la nuit, peuplant les ruines du château, ainsi qu’un vol de colombes [89]. (Le Rêve.)