Jésus-Christ

Fils aîné du père Fouan et de Rose Maliverne. Frère de Buteau et de Fanny Delhomme. Père d’Olympe Fouan, dite la Trouille. Un ancien soldat qui a fait les campagnes d’Afrique et qui, paresseux et ivrogne, s’est mis, dès son retour, à battre les champs, refusant tout travail régulier, vivant de braconnage et de maraude, comme s’il rançonnait encore un peuple tremblant de Bédouins. A quarante ans, c’est un grand gaillard, d’une belle force musculaire, les cheveux bouclés, la barbe en pointe, longue et inculte, avec une face de Christ ravagé, un Christ soûlard, violeur de filles, détrousseur de grandes routes. Au fond de ses beaux yeux noyés d’une perpétuelle ivresse, il y a de la goguenardise pas méchante, le cœur ouvert d’une bonne crapule [16]. Il habite le château, coin rocheux qui appartient à la commune de Rognes et où il s’est réfugié à la suite d’une querelle avec son père [40].

Terrible chenapan à jeun, il s’attendrit davantage à chaque verre de vin, il devient d’une douceur et d’une bonhomie d’apôtre intempérant. Très venteux, répudiant les bruits timides, étouffés entre deux cuirs, il n’a que des détonations franches, d’une solidité et d’une ampleur de coups de canon [314]; il bat au jeu de la chandelle, Sabot, le vigneron de Brinqueville, qui a moins de souffle que lui [332]. En politique, Jésus-Christ est un rouge, il se vante d’avoir à Cloyes, en février, fait danser le rigodon aux bourgeoises ; dans son pêle-mêle baroque d’opinions, idées d’ancien troupier d’Algérie, de rouleur de villes, du politique de marchand de vin, ce qui surnage, c’est l’homme de 48, le communiste humanitaire, resté à genoux devant la formule liberté, égalité, fraternité, qui excite les railleries de son ami Leroi, dit Canon.

Il n’est sévère que sur un point, la morale; il ne veut pas que sa fille le déshonore et il la corrige à coups de fouet [218]. Quant au reste, il n’a aucun préjugé. Lorsque le père Fouan a partagé ses terres, Jésus-Christ n’a brûlé que d’un désir, avoir sa part pour battre monnaie [23], il a bu son bien en l’hypothéquant morceau à morceau [133], il n’a jamais versé un sou de la rente, trouvant même le moyen de carotter des pièces de cent sous à ses parents, jouant le grand jeu, beuglant à rendre son père fou, se traînant par terre, menaçant de se percer le cœur d’un coutelas et, dès qu’il a obtenu de l’argent, courant le boire avec son vieux frère d’armes, le garde champêtre Bécu, dont il possède la femme tout en la traitant de vieille peau [332]. Il a chambré le père Fouan pour s’emparer du magot, il a eu les titres en mains, mais n’a pas osé s’en emparer, car il manque d’envergure, n’ayant ni la froide rapacité de sa sœur Fanny, ni les instincts meurtriers de son frère Buteau. Ce n’est, au fond, qu’un simple jeannot dans sa gueuserie [511]. (La Terre.)