Berthe Josserand

— La dernière fille des Josserand. Elle garde à vingt et un ans toute une grâce d’enfance, avec les mêmes traits que sa sœur, mais plus fins, éclatants de blancheur. Mine chiffonnée, cheveux châtains dorés de reflets blonds, menacée seulement vers la cinquantaine du masque épais de sa mère ; elle a une grâce hardie et un charme facile de Parisienne, avec quelques talents de musicienne et de peintre qui constituent toute sa dot. Pour la marier, c’est pendant trois hivers une véritable chasse à l’homme, des garçons de tous poils aux bras de qui on la jette, une offre continue de son corps sur les trottoirs autorisés des salons bourgeois; puis, ce que les mères enseignent aux filles sans fortune, tout un cours de prostitution décente et permise, les attouchements de la danse, les mains abandonnées derrière une porte, les impudeurs spéculant sur les appétits des niais ; enfin, le mari levé un beau soir, comme un homme est fait par une gueuse, le mari raccroché sous un rideau, excité et tombant au piège, dans la fièvre de son désir [429].

Stylée ainsi, Berthe a trouvé un époux dans la personne du chétif Auguste Vabre, qu’elle a su habilement compromettre. Et dès le mariage, cette jeune fille poussée dans la serre chaude du faux luxe parisien, corrompue par une éducation de poupée, s’affirme en enfant égoïste et gâcheur qui saccagera l’existence pour en mieux jouir. Se désintéressant du commerce entrepris par son mari, elle vit dans un perpétuel besoin de mouvement, avec le goût des riches toilettes cl le dédain du linge qu’on ne voit pas ; elle a vite conquis la carrure de sa mère, dont elle répète les phrases, recommençant pour son compte les querelles qui ont bercé sa jeunesse ; elle éprouve un désir grandissant de liberté et de plaisir, un amour de l’argent, toute celte religion de l’argent dont elle a appris le culte dans la famille [311]. Et, entravée par l’avarice de Vabre, elle fait des dettes, accepte les dons d’Octave Mouret et glisse, sans même y penser, à un adultère sans plaisir, dont elle sera bientôt lasse, car c’est une nature froide, d’un égoïsme rebelle aux tracas de la passion. Elle a subi Octave sans bonheur, le trouvant trop exigeant pour ce qu’il donne et arrivant très vite à faire à son amant l’éternelle querelle d’argent dont elle poursuit son mari. Chassée par celui-ci, puis reprise, restée inconsciente de sa faute, elle a rompu avec Octave, mais elle est au mieux avec le nouvel associé de Vabre, un petit blond très coquet qui la comble de cadeaux [489]. (Pot-Bouille.)

La concurrence du Bonheur des Dames a fini par tuer le magasin de Vabre. Les dépenses de Berthe ont précipité cette débâcle [20].