Madame Méchain

— Petite-cousine de Rosalie Chavaille, dont elle a recueilli le fils, Victor Saccard. Une femme énorme, bien connue des habitués de la Bourse. Son visage de pleine lune, bouffi et rouge, aux minces yeux bleus, au petit nez perdu, à la petite bouche d’où sort une voix flûtée d’enfant, semble déborder d’un vieux chapeau mauve, noué de travers par des brides grenat. La gorge géante et le ventre hydropique crèvent la robe de popeline verte, mangée de boue, tournée au jaune. Se dit veuve, mais personne n’a connu son mari. Elle vient on ne sait d’où et paraît avoir eu toujours cinquante ans.

La Méchain est une de ces enragées et misérables joueuses, dont les mains grasses tripotent dans toutes sortes de louches besognes. Elle ne quitte jamais un antique sac de cuir, immense, aussi profond qu’une valise, où vont tomber les titres déclassés, les actions des sociétés mises en faillite, marchandise scélérate qu’on cède avec bénéfice aux banqueroutiers désireux de gonfler leur actif. Dans les batailles meurtrières de la finance, c’est le corbeau qui suit les armées en marche [16]. Elle possède, derrière la butte Montmartre, toute une cité, la cité de Naples, un vaste terrain planté de huttes branlantes, dont elle touche les loyers avec âpreté, jetant les familles à la rue dès qu’on ne lui donne pas à l’avance ses deux francs, faisant elle-même sa police, si redoutée que les mendiants sans asile n’oseraient dormir pour rien contre un de ses murs [159]. Affiliée à Busch, elle organise avec lui un chantage contre Aristide Saccard et parvient à soutirer deux mille francs de madame Caroline, navrée devant la déchéance du petit Victor [163]. Mal rassasiée par ce maigre résultat, la Méchain aura plus tard la satisfaction d’engloutir dans son sac les actions de la Banque Universelle [436]. (L’Argent.)