Misard

Stationnaire de la Compagnie de l’Ouest, à la Croix-de-Maufras, entre Malaunay et Barentin. Un petit homme malingre, les cheveux et la barbe rares, décolorés, la figure creusée et pauvre. Sa femme, une cousine de Jacques Lantier qui l’appelle tante Phasie, garde la barrière du passage à niveau. Misard est un ancien poseur de la voie, il gagne maintenant douze cents francs à une besogne toujours la même pendant douze heures : sonner de la trompe à chaque tintement électrique annonçant un train, puis le train passé, la voie fermée, pousser un bouton pour le signaler au poste suivant et un autre bouton pour rendre la voie libre au poste précédent ; il vit là, mange là, sans lire trois lignes d’un journal, sans paraître même avoir une pensée, sous son crâne oblique.

Silencieux, effacé, sans colère, d’une politesse obséquieuse devant les chefs, cet humble, ce chétif, qui tousse d’une petite toux mauvaise, empoisonne lentement sa femme, mêlant d’abord une poudre au sel qu’elle absorbe, puis lorsqu’elle s’en est aperçue, jetant de la mort-aux-rats dans ses lavements. Ce crime patient et sournois, commis dans la continuelle trépidation des trains, en un désert où nul ne s’arrête, a pour cause la convoitise d’une somme de mille francs qui a été léguée à tante Phasie par son père et qu’elle a refusé de remettre à Misard. Durant des mois et des mois, celui-ci ne songe qu’à l’argent, fouillant partout, supposant en vain mille cachettes.

Pour s’emparer du trésor, il a fini par tuer sa femme, une grande et belle femme, une gaillarde, peu à peu mangée par lui comme le chêne est mangé par l’insecte. Elle est maintenant sur le dos, réduite à rien, et lui dure encore [309]. Mais tante Phasie triomphe quand même, Misard reste battu, retournant la maison, creusant le jardin, cherchant éperdument le jour et la nuit, sous l’affolement de l’idée fixe, et ne trouvant décidément rien. Une vieille femme du voisinage, la Ducloux, qu’il a prise pour tenir la barrière, exploite sa manie, elle se fait épouser [408] et, désormais, tous deux cherchent avec la même fièvre, tous deux chercheront éternellement, sans que l’assassinée consente à livrer son secret. (La Bête humaine.)