Tante Phasie

— Femme de Misard. Mère de Flore et de Louisette. C’est une cousine des Lantier; elle a servi de marraine au petit Jacques et l’a pris chez elle, à Plassans, lorsque Gervaise Macquart et son amant se sont envolés à Paris. Jacques l’appelait dés l’enfance tante Phasie. Elle a eu deux filles, Flore et Louisette, est devenue veuve et s’est remariée à trente-cinq ans avec Misard, un petit homme sournois et avare, de cinq ans plus jeune qu’elle. Jacques l’a retrouvée plus tard avec ses filles et son mari, vivant en un désert de la Normandie, la Croix-de-Maufras, sur la ligne du Havre, où elle est garde-barrière et où Misard est chargé d’un cantonnement. C’est une existence de misère, un ennui à périr, de n’avoir jamais personne à qui causer, pas même un voisin, dans l’éternel flux de voyageurs roulant sans lin sur la voie ferrée. Dès le début, on a donné à tante Phasie cinquante francs par mois, c’est le présent et 1’avenir, sans autre espoir, la certitude de vivre et de crever dans ce trou, à mille lieues des vivants; elle a eu longtemps des consolations, lorsque son mari travaillait au ballast et qu’elle demeurait seule à garder la barrière avec ses filles ; elle possédait alors, de Rouen au Havre, sur toute la ligne, une telle réputation de belle femme que les inspecteurs de la voie la visitaient au passage. Mais à quarante-cinq ans, la robuste personne d’autrefois, si grande, si forte, en paraît soixante ; amaigrie et jaunie, secouée de continuels frissons, elle reste là, les semaines, les mois, sur une chaise, dans cette solitude, sentant son corps s’en aller un peu plus d’heure en heure. La solide gaillarde a été peu à peu rongée par le maigre et souffreteux Misard. Entre eux, il y a un duel à mort : tante Phasie possède mille francs, hérités l’an dernier de son père, et elle veut garder cette somme, elle la refuse obstinément à son mari. Celui-ci peut bien la tuer, elle ne cédera pas ; même s’il l’empoisonne, il n’aura rien, elle laissera plutôt les mille Francs à la terre. Certes, elle se méfie, elle a même une peur secrète, grandissante, la peur du colosse devant l’insecte dont il se sent mangé [43], elle n’accepte rien de lui, sauf le sel, parce que le sel purifie tout, et c’est justement dans le sel qu’il met sa drogue. Après le sel, ce sont les lavements qui introduisent le poison dans son corps; et mourante, elle se console à la pensée de la tête que son mari fera en ne découvrant pas le magot [232]. Morte, ses yeux obstinés restent ouverts, sa tête s’est raidie, un peu penchée sur l’épaule, comme pour regarder dans la chambre, tandis qu’un retrait des lèvres semble les retrousser d’un air goguenard [308]. Et c’est bien elle, définitivement, qui triomphe, car le petit Misard l’a tuée inutilement, il ne trouvera jamais le trésor. (La Bête humaine.)