Prosper Sambuc

— Frère de Guillaume. De nature laborieuse et docile, il a, par haine de la forêt, voulu être garçon de ferme. Puis, tombé au sort, incorporé aux chasseurs d’Afrique, il est devenu ordonnance d’officier. Prosper a une longue face sèche, des membres souples et forts, d’une adresse extraordinaire. Il aime la vie d’Afrique, cette existence d’imprévu et d’aventures, cette guerre d’escarmouches, si propre à l’éclat de la bravoure personnelle, amusante comme la conquête d’une île sauvage, égayée par les razzias, les petits vols des chapardeurs, dont les bons tours légendaires font rire jusqu’aux généraux [70]. 11 était là-bas depuis trois ans lorsque éclate la guerre de 1870.

Envoyé en France, il a entrevu les batailles sous Metz et, à Gravelotte, au moment d’entrer en ligne, son corps a été désigné pour former l’escorte de l’empereur, qui filait sur Verdun en calèche. On a fait quarante-deux kilomètres au galop, avec la peur, à chaque instant, d’être coupé par les Prussiens [70]. Sous Metz, Prosper n’a vu que quatre uhlans, derrière une haie [98] — dans la marche vers Montmédy, il n’aperçoit (lue deux uhlans encore, des bougres qui apparaissent et disparaissent, sans qu’on sache d’où ils sortent ni où ils rentrent, formant un mouvant rideau derrière lequel l’infanterie dissimule ses mouvements et marche en toute sécurité, alors que les Français ne savent pas utiliser leurs chasseurs et leurs hussards, systématiquement laissés hors du contact de l’ennemi [99]. Son régiment appartient à une division de la cavalerie de réserve, commandée par le général Margueritte, dont Prosper ne parle qu’avec une tendresse enthousiaste [70].

A Sedan, le chasseur d’Afrique pleure devant son cheval épuisé par la faim [178], ce vieux Zéphir qu’il aime plus que tout au monde. Dans les marches et contremarches, de vallons en vallons, autour du plateau d’Illy, où errent les escadrons, précieux et inutiles, Prosper tombe de sommeil ; c’est la grande souffrance, les nuits mauvaises, la fatigue amassée, une somnolence invincible au bercement du cheval; pendant des minutes, malgré l’effroyable fracas de la bataille, il s’endort réellement sur sa selle, il n’est plus qu’une chose en marche, emportée au hasard du trot [318]. Puis, voici l’heure héroïque. Le général Margueritte est blessé à mort en allant reconnaître le terrain, ses cinq régiments vont s’élancer furieusement pour le venger [320]. Prosper se trouve au premier rang, presque à l’extrémité de l’aile droite. Après plusieurs charges, il tombe sous son cheval, sa hanche droite est comme écrasée, il perd connaissance.

Revenu à lui vers la fin du jour, il réussit à se dégager, gagne les bois, atteint péniblement la frontière belge, puis, ayant troqué son uniforme contre des vêtements de paysan, bien déterminé à ne plus combattre, puisque la cavalerie ne sert absolument à rien et que son pauvre Zéphir est mort, il décide de se remettre à la terre et rentre à Remilly où le père Fouchard l’accepte comme garçon de ferme [411]. (La Débâcle.)