Beaudoin

— Capitaine au 106e de ligne (colonel de Vineuil). Un bel officier, d’allure fine et correcte. Sorti de Saint-Cyr, appuyé par plusieurs salons, ayant une très jolie voix de ténor à laquelle il doit beaucoup déjà, bonapartiste convaincu, le capitaine Beaudoin est promis au plus bel avancement. D’ailleurs, il n’est pas inintelligent, bien que ne sachant rien de son métier. Il n’a pas su se faire aimer de ses hommes, on le trouve trop jeune et trop dur, un pète-sec. Rochas, son lieutenant, sorti du rang, ne peut le souffrir. Dans la marche vers la Meuse, le convoi s’est égaré, Beaudoin a perdu ses bagages; il ne dérage pas, les lèvres pincées, le visage pâle, bien moins indigné de ne point manger que de ne pouvoir changer de chemise. Depuis les premières défaites, il a l’air absolument choqué, le désastre lui semble surtout inconvenant. II arrive dans Sedan pitoyable, l’uniforme souillé, la face et les mains noires.

Autrefois, en garnison à Charleville, il avait été le familier de la jolie Gilberte Maginot; il la retrouve mariée à Jules Delaherche, on lui fait fête, les anciens amants passent la nuit ensemble et, le lendemain, au petit jour, Beaudoin rejoint sa compagnie sur le plateau de Floing, étonnant tout le monde parla correction de sa tenue, son uniforme brossé, ses chaussures cirées, toute une coquetterie, un vague parfum de lilas de Perse. Au calvaire d’Illy, très nerveux, remuant sans cesse malgré les sages conseils de Rochas, il a la jambe droite fracassée par un éclat d’obus et il culbute sur le dos, en poussant un cri aigu de femme surprise. Transporté à l’ambulance Delaherche, il subit courageusement l’amputation, mais l’hémorragie a été trop forte, il ne survivra pas. Et si, dans ses yeux, on lit alors un immense regret de la vie, une lâcheté de s’en aller ainsi, trop jeune, sans avoir épuisé la joie d’être, la pensée qu’il va manquer de correction lui rend sa bravoure et il finit par montrer un grand courage, soucieux avant tout de partir en homme de bonne compagnie. (La Débâcle.)