— Femme du comte. Mère de Ferdinand et d’Alice. A beaucoup souffert de son mari, dont elle ne s’est jamais plainte. C’est une grande femme maigre de soixante ans, toute blanche, au grand nez droit, aux lèvres minces, au cou particulièrement long; elle a l’air d’un cygne très ancien, d’une douceur désolée. Elle occupe avec sa fille, rue Saint-Lazare, une ancienne maison de plaisance, la Folie-Beauvilliers, attenante à l’hôtel d’Orviedo; c’est, avec la ferme des Aublets, près de Vendôme, la dernière épave d’une immense fortune. La ferme rapporte environ quinze mille francs de rente, mais la maison de Paris, écrasée d’hypothèques, menacée d’une mise en vente si l’on ne paie pas les intérêts, mange la plus grosse part du revenu. Aussi madame de Beauvilliers doit-elle racheter par de sordides économies le luxe extérieur auquel la condamne l’orgueil de sa condition. Soucieuse de se tenir debout à son rang, rêvant de marier sa fille à un homme d’égale noblesse et de faire de son fils un soldat, elle vit dans un douloureux et puéril héroïsme quotidien. Mais un grand espoir va lui venir.
Membre de la Commission de surveillance de l’Œuvre du Travail, fondée par la princesse d’0rviedo, elle est mise au courant des merveilleuses promesses de la Banque Universelle et malgré son horreur de race pour les spéculations financières, voulant grossir une petite dot péniblement mise de côté pour Alice, elle confie quelques fonds à Aristide Saccard, puis devant la hausse continue, elle risque davantage, elle prend de nouvelles actions à chaque augmentation de capital, et, comme le financier tentateur lui fait entrevoir le gain futur du million qui serait le salut définitif pour son nom et pour les siens, comme elle s’est enthousiasmée devant les grandes pensées catholiques rattachées à l’affaire, elle vend les Aublets, elle met dans la Banque tout ce qu’elle possède. Et c’est, dans la soudaine catastrophe de Saccard, une indigence brusque; tout a été fondu, emporté du coup. L’hôtel de la rue Saint-Lazare ne paiera pas les créanciers.
La comtesse se réfugie avec sa fille, dans une chambre, rue de la Tour-des-Dames, son fils est mort loin d’elle et sans gloire, ou lui ramène Alice blessée, salie par un bandit. Et madame de Beauvilliers, si noble naguère, mince, haute, toute blanche, avec son grand air suranné, n’est plus qu’une pauvre vieille femme détruite, cassée par cette dévastation. L’épouvantable déroute est achevée par un immonde chantage de Busch, la résurrection du passé du comte, une gamine, Léonie Cron, séduite par lui et devenue fille publique; et, dans la terreur d’un scandale, la malheureuse femme abandonne à Busch les derniers bijoux de famille, ceux qu’elle avait gardés au travers des plus grandes gênes, comme l’unique dot de sa fille, et qui restaient à cette heure sa suprême ressource. (L’Argent.)