— Carrier à Bécourt. Un gaillard au cou puissant, aux poings énormes, blond, très blanc de peau, la barbe rare, à peine un duvet doré qui frise, soyeux. La face massive, le front bas disent la violence de l’être borné, tout à la sensation immédiate; mais il y a comme un besoin de soumission tendre, dans sa bouche large et dans son nez carré de bon chien [126]. Condamné à cinq ans de prison pour avoir tué, dans un cabaret, un homme qui avait tapé le premier, Cabuche n’a fait que quatre ans, à cause de sa bonne conduite; quand il est revenu, tout le monde le fuyait, on lui aurait jeté des pierres.
La petite Louisette, cadette de madame Misard, avait alors quatorze ans, elle le rencontrait toujours dans la forêt; seule de tout le pays, elle s’approchait, causait et c’est ainsi qu’ils sont devenus bons amis, se tenant par la main pour se promener, s’aimant très fort, sans que rien se passe entre eux. La petite a été placée au château de Doinville, chez madame Bonnehon, et un soir, en rentrant de la carrière, Cabuche qui habitait une masure en pleine forêt, a trouvé devant sa porte Louisette, à moitié folle, si abîmée qu’elle brûlait de fièvre. L’auteur du viol était le vieux président Grandmorin, et Cabuche, dans son effroyable colère, a dit partout qu’il saignerait ce cochon. Tel est l’indice qui va suffire au juge Denizet pour lui attribuer l’assassinat commis par les Roubaud et comme, plus tard, le bon colosse, tout tremblant d’adoration pour Séverine Aubry, sera trouvé aux pieds de la jeune femme égorgée par Jacques Lantier, la justice le condamnera sans hésitation aux travaux forcés à perpétuité, pour deux crimes dont il est innocent [405]. (La Bête humaine.)