— Mère de Jules Delaherche. Son mari était de mœurs gaillardes et l’a rendue très malheureuse. Aussi, devenue veuve, tremblant de voir son fils recommencer les mêmes farces, s’est-elle efforcée de lui imposer une tutelle. Elle l’a marié avec une dévote et a dirigé le ménage, puis la femme est morte. A cinquante ans, Delaherche, sevré de jeunesse, a voulu épouser une veuve légère et gaie, de réputation douteuse; c’est en vain que madame Delaherche a prodigué les remontrances [181]. Maintenant, elle ne vit plus que comme un blâme muet, elle se tient enfermée dans sa chambre. Toujours debout à l’aube, malgré ses soixante-dix-huit ans, toute blanche, d’une grande rigidité de dévotion, elle a un nez qui s’est aminci et une bouche qui ne rit plus, dans une longue face maigre [183].
Les malheurs de la guerre la frappent cruellement; elle est déjà d’un autre âge, de cette vieille et rude bourgeoisie des frontières, si ardente autrefois à défendre ses villes [385]. La grande douleur de la défaite domine ses chagrins domestiques. Suffoquée par l’adultère de sa belle-fille avec le capitaine Beaudoin, elle a décidé de tout dire à son fils, mais le lendemain, devant Beaudoin rapporté mourant à l’ambulance, elle se tait; à quoi bon désoler la maison, puisque la mort emporte la faute [346]. Plus tard, écrasée sous la honte de croire la jeune femme maîtresse d’un officier ennemi [560], elle trouve un soulagement à la surprendre aux bras du jeune Edmond Lagarde; cette fois encore, elle ne parlera pas; elle aura même un faible sourire devant l’échec du Prussien, elle qui ne s’est pas égayée depuis la bonne nouvelle de Coulmiers [563]. Dès le lendemain de l’occupation, elle s’est consacrée à son vieil ami blessé, le colonel de Vineuil;avec lui, elle pleure la patrie agonisante. Devant le désespoir de ce soldat trop affaibli pour détruire son épée, c’est elle qui la brise d’un coup sec, sur son genou, avec une force extraordinaire, dont elle-même n’aurait pas cru capables ses pauvres mains [400]. Et elle reste enfermée chez le colonel, voulant vivre cloîtrée avec lui, tant que les Prussiens logeront dans la maison [544]. (La Débâcle.)