Desroches

— Notaire au Chêne-Populeux. Sa petite maison blanche, d’aspect bourgeois et calme, à deux étages, fait l’angle de la rue de Vouziers et de la place. Elle a été réquisitionnée pour l’empereur, le 27 août 1870, pendant la marche de l’armée de Mac-Mahon. Napoléon III habite au premier une chambre à peine éclairée. Ce qui flambe dans la maison, c’est la cuisine, au rez-de-chaussée, une vraie fournaise où rôtit et bout le dîner d’un empereur; il y a trois cuisiniers, en vestes blanches éblouissantes, s’agitant devant des poulets enfilés dans une immense broche, remuant des sauces au bout d’énormes casseroles dont le cuivre reluit comme de l’or [115]. Là-haut l’empereur, silencieux et las devant son couvert, porte à peine deux bouchées à ses lèvres et repousse tout le reste de la main, regardant la nappe de ses yeux vacillants, troubles et pleins d’eau; tandis qu’au-dessous, dans le braisillement des bougies et la fumée des plats, on voit une tablée d’écuyers, d’aides de camp, de chambellans en train de vider les bouteilles des fourgons, d’engloutir les volailles et de torcher les sauces, au milieu de grands éclats de voix; la certitude erronée de la retraite enchante tout ce monde, qui compte bien coucher à Paris, dans des lits propres, avant huit jours [118]. Mais c’est pendant cette nuit que la marche vers la Meuse, abandonnée dans un instant de lucidité, sera reprise pour le salut du régime impérial; c’est la nuit du crime, la nuit abominable d’un assassinat de nation, car l’armée dès lors se trouvera en détresse, cent mille hommes seront envoyés au massacre [120]. (La Débâcle.)