Gutmann

— Un soldat de Bazeilles, Bavarois trapu, à l’énorme tête embroussaillée de barbe et de cheveux roux, sous lesquels on ne distingue qu’un long nez carré et de gros yeux bleus. Vers la fin de la bataille, il est souillé de sang, effroyable, tel qu’un de ces ours des cavernes, une de ces bêtes poilues, toutes rouges de la proie dont elles viennent de faire craquer les os [25]. C’est lui qui arrache violemment Henriette Weiss des bras de son mari, devant le peloton d’exécution.

Henriette le retrouve plus tard à l’ambulance de Remilly. Il ne peut parler, une balle, entrée par la nuque, lui a enlevé la moitié de la langue. L’ancien monstre aux prunelles chavirées de rage est maintenant un malheureux, à l’air bonhomme et docile, au milieu de ses atroces souffrances. On n’est pas bien sûr qu’il se nomme Gutmann, on l’appelle ainsi parce que l’unique son qu’il arrive à proférer est un grognement de deux syllabes qui fait à peu près ce nom. Quant au reste, on croit seulement qu’il est marié et qu’il a des enfants [503]. il meurt dans les premiers jours de novembre, après avoir râlé deux jours. Henriette a passé les dernières heures à son chevet, tant il la regardait d’un air suppliant. De ses yeux en larmes, il disait peut-être son vrai nom, le .nom du village lointain où une femme et des enfants l’attendaient. Elle est seule à l’accompagner au cimetière [509]. (La Débâcle.)