Georges Hamelin

— Fils d’un médecin de Montpellier, savant remarquable, catholique pratiquant, et qui n’a pas laissé de fortune. Entrait à l’Ecole polytechnique lorsque son père est mort; il a pu y rester, grâce à sa sœur Caroline qui l’a entretenu d’argent de poche, pendant les deux années de cours. Sorti dans un mauvais rang, il a longtemps attendu une situation, est parti enfin pour l’Egypte avec la commission chargée des premières éludes du canal de Suez, est allé de là en Syrie, a vu Beyrout et les gorges du Liban, exploré le Carmel, traversé le Taurus. Partout, il était accompagné de sa sœur, animée d’un fraternel dévouement pour ce jeune savant, si plein d’ardeur et de simplicité. Plus âgé d’un an, il ressemble beaucoup physiquement à Caroline, en plus pâle. Hamelin est revenu d’Asie Mineure avec tout un monde d’idées, mais, trop modeste, peu bavard, il n’a pu communiquer sa foi à personne et, pendant quinze mois, la vie a été dure dans le petit appartement de l’hôtel d’Orviedo où le frère et Ici. sœur se sont installés. Hamelin a des facultés de travail rares, niais il s’absorbe dans ses études. Cet ancien piocheur de Polytechnique, aux conceptions savantes, d’un zèle si vif pour tout ce qu’il entreprend, montre parfois une telle naïveté qu’on le jugerait un peu sot.

Élevé dans le catholicisme le plus étroit, il a gardé sa religion d’enfant, il pratique, très convaincu [57]. Ce qui le passionne le plus dans les hardies conceptions rapportées d’Orient, c’est le triomphe qu’elles préparent à la chrétienté, tout un programme secret, la Palestine sauvée du joug des Turcs, Jérusalem libre avec Jaffa comme port de mer, les Lieux Saints rendus à la foi, le pape échappant aux révoltantes humiliations qui se préparent à Rome et venant restaurer le trône du Christ sur la terre même où le Christ a parlé. En attendant ce couronnement de l’édifice, le projet de formation d’une Compagnie générale des Paquebots réunis, destinée à s’assurer la royauté de la Méditerranée, les études sur les mines d’argent du Carmel et les chemins de fer d’Asie Mineure, tout ce travail soumis à Aristide Saccard va provoquer chez cet extraordinaire brasseur d’affaires l’idée de créer la Banque Universelle.

Hamelin accepte à son corps défendant la présidence du conseil d’administration, poste honorifique où il partagera, malgré son éclatante probité et son désintéressement d’apôtre, les terribles responsabilités financières de Saccard. Sa besogne est en Orient, il y vivra désormais, ne faisant que de courtes apparitions à Paris, où il est suppléé par le vice-président Robin-Chagot; il reviendra chaque fois de là-bas avec un nouvel enthousiasme, l’affaire des Paquebots en pleine réussite, la Palestine s’éveillant à la vie en une sorte de résurrection, toutes les grandes choses futures semées désormais, germant, prêtes à faire un monde nouveau. Et pendant ce temps, la Banque Universelle se développe, en une prospérité sans exemple; Saccard, lui aussi, fait des merveilles, ses spéculations vont féconder et rendre vivantes les grandes entreprises d’Hamelin. Mais, tandis que le savant étudie froidement la mise en œuvre de ses conceptions, le financier, lui, se grise de la poésie des résultats, il surchauffe la machine, il accumule les irrégularités, fait la folie de lancer l’affaire comme un bélier contre les murailles de la haute banque juive et détermine une catastrophe qui va semer partout le déshonneur et la ruine.

Hamelin est resté pur de tout trafic, tout s’est fait malgré lui, il s’est strictement tenu dans son rôle d’homme de science qui amène l’eau au moulin [271]; il aurait pu, à l’heure de la débâcle, rester à l’étranger, et pourtant il est revenu en hâte, il s’est dépouillé, en faveur de l’actif, de tout ce qu’il possédait, mais le sort de Saccard sera le sien. Il subit la honte de la prison. Et il trouve la résignation et la tranquillité d’âme dans sa foi un peu simple de catholique fervent, il n’a de tristesse que devant l’arrêt désastreux de ses grands travaux [422]; pardonnant à Saccard, il a même la tendresse pitoyable d’envoyer vers lui madame Caroline [424]. Condamné à cinq ans de prison et à trois mille francs d’amende, il passe à l’étranger [434] et va recommencer son existence à Rome [445]. (L’Argent.)