Jantrou

— Rédacteur en chef de l’Espérance. C’est un ancien professeur, venu de Bordeaux à Paris, obligé de quitter l’Université, à la suite d’une histoire louche. Beau garçon, avec sa large barbe noire et sa calvitie précoce, d’ailleurs intelligent et aimable, il est débarqué à la Bourse vers vingt-huit ans, s’y est traîné et sali pendant dix ans comme remisier, n’y gagnant guère que l’argent nécessaire à ses vices, essuyant les rebuffades des clients, traité à coups de pied par le comte de Ladricourt. Plus tard, tout à fait chauve, se désolant ainsi qu’une fille dont les rides menacent le gagne-pain, attendant toujours l’occasion qui doit le lancer au succès, à la fortune, Jantrou répète qu’il faut être un coquin pour réussir à la Bourse et il met dans celte parole la rancune d’un homme qui n’a pas eu la coquinerie chanceuse [21].

Il porte beau malgré tout, la barbe en éventail, cynique et lettré, lâchant de temps à autre une phrase fleurie d’ancien universitaire [124]. C’est lui qui donne à Saccard l’idée d’acheter l’Espérance, feuille catholique dont les bureaux sont situés rue Saint-Joseph et que Jantrou dirigera pour le compte de la Banque Universelle. Il y écrit des articles politiques d’une forme soignée que ses adversaires eux-mêmes reconnaissent du plus pur atticisme, mais au fond, il ne s’intéresse qu’aux annonces financières. Dans le journal et hors du journal, il organise toute une vaste publicité autour de l’Universelle, il est fécond en idées de réclames, on le rencontre maintenant tout flambant neuf, serré dans une élégante redingote ornée d’une rosette aux couleurs vives, soignant surtout sa coiffure, portant des chapeaux irréprochables et, malgré tout, laissant la vague impression d’une malpropreté persistante en dessous. Il gagne cent mille francs par an et en mange le double, on ne sait à quoi. L’absinthe continue à le dévorer, fauchant ses derniers cheveux, lui plombant le crâne et la face [189].

Après la débâcle de la Banque et du journal, Jantrou est fini, trois années de prospérité l’ont dévoré, dans un monstrueux abus de tout ce qui s’achète, pareil à ces meurt-de-faim qui crèvent d’indigestion le jour où ils s’attablent. Et il entraîne dans sa déchéance la baronne Sandorff tombée jusqu’à lui [389]. (L’Argent.)