La jolie dame

Une cliente du Bonheur des Dames, une adorable blonde que les vendeurs appellent entre eux « la jolie dame », ne sachant rien d’elle, pas même son nom. Elle achète beaucoup, fait porter dans sa voiture, puis disparaît. Grande, élégante, mise avec un charme exquis, elle semble fort riche et du meilleur monde. A chacune de ses apparitions, on se livre à des hypothèses, simplement pour causer. Le vendeur qui ne l’a pas servie prétend que c’est une cocotte, celui qui a fait la vente assure qu’elle a l’air trop comme il faut, ça doit être la femme d’un boursier on d’un médecin [117]. Elle est venue un jour avec un petit garçon de quatre ou cinq ans; l’un pense qu’elle est mariée, l’autre dit que le mioche ne prouve rien, car il peut être à une amie ; ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle doit avoir pleuré, car elle est triste et elle a les yeux rouges : son mari lui a peut-être allongé des gifles, à moins que ce’ ne soit son amant qui l’ait plantée là [192]. Comme elle vient une autre fois en grand deuil, on ne pense pas qu’elle ait perdu son père, car elle serait plus triste ; c’est plutôt son mari, alors elle n’est pas une cocotte véritable ; pourtant, il se peut qu’elle soit en deuil de sa mère [303]. Et les appréciations gratuites vont leur train : elle maigrit, elle engraisse, elle a bien dormi ou elle s’est couchée tard la veille, et si elle paraît très gaie, on suppose qu’elle se remarie ou qu’elle a gagné de l’argent à la Bourse [499].