— Orpheline de hobereaux du Cotentin, complètement ruinés. Était institutrice à Caen, courait, le cachet, quand elle épousa Chanteau.
Réduite par la misère de sa condition à s’unir à un fils d’ouvrier, elle voulut d’abord le pousser aux vastes entreprises ; ses volontés dominatrices ont échoué devant l’inertie de Chanteau. Elle reporte alors sur Lazare, son fils, l’espoir qui la liante ; mais ce rêve est contrarié par de gros revers d’argent [21]. Le jeune homme ne lui donne, d’ailleurs, aucune satisfaction ; sorti du lycée, il n’a aucune ambition, il se grise de musique. Madame Chanteau, tourmentée par ses idées de grandeur, mène une existence aigrie entre un mari incapable et un fils névrosé.
A cinquante ans, elle est petite et maigre, les cheveux encore très noirs, le visage agréable, gâté par un grand nez d’ambitieuse [8]. Quand le cousin Quenu est mort, elle a liquidé la succession tambour battant et amené à Bonneville la petite Pauline, dont elle va commencer aussitôt l’exploitation, en lui laissant le souci de soigner et de consoler Chanteau dans ses terribles crises de goutte. Elle utilise la naissante influence de l’enfant sur Lazare pour le décider à entreprendre la médecine. A ce moment, Pauline est une petite fée qui les récompense bien de l’avoir prise avec eux [50]. Plus tard, quand Lazare, dégoûté de la médecine, voudra se lancer dans des entreprises industrielles, madame Chanteau cherchera des fonds pour son fils et jettera son dévolu sur la fortune de Pauline. L’argent, dévoré par les opérations de Lazare, sert en même temps aux besoins journaliers du ménage, tombé dans une grande gène, et, en peu d’années, cent mille francs sont engloutis. Par une habile manœuvre, madame Chanteau s’est délivrée des menaces du subrogé-tuteur Saccard et, pour couronner son ouvrage, elle cherche à évincer sourdement Pauline, fiancée à Lazare, et à la remplacer par Louise Thibaudier, une héritière qui doit apporter deux cent mille francs de dot. Quand Pauline chasse Louise trouvée dans les bras du jeune homme, madame Chanteau se décide à lever le masque [193] mais une attaque d’hydropisie va l’enlever en quelques jours.
Elle a une agonie bavarde, qui dure vingt-quatre heures. C’est une confession involontaire, qui revient à la surface dans le travail même de la mort [233]. Cette femme, restée âpre et combattive jusqu’à la fin, succombe pleine de fureur devant la tendre Pauline, qu’elle accuse de vouloir l’empoisonner, et elle quitte ainsi la vie, les poings serrés comme pour une lutte corps à corps [238]. (La Joie de vivre.)