— Troisième fils de Gervaise Macquart et d’Auguste Lantier. Né à Plassans, en 1816, Etienne est recueilli par sa grand’mère paternelle [151]. Quand celle-ci meurt, en 1851, il est emmené à Paris par ses parents [179]. (La Fortune des Rougon.)
A huit ans, on le met dans une petite pension de la rue de Chartres, où sa mère paye cinq francs par mois [135]. Gervaise, abandonnée par Lantier, s’est, mariée avec le zingueur Coupeau, qui maltraite souvent l’enfant [155]. Quand Étienne a douze ans, Goujet l’accepte comme apprenti [194]; on l’appelle le petit Zouzou, parce qu’il a les cheveux coupés ras, pareils à ceux d’un zouave [209]. Il est ensuite envoyé en apprentissage à Lille [314] et devient mécanicien [548].(L’Assommoir.)
A vingt et un ans, c’est un joli homme, au visage fin, à l’air fort, malgré ses membres menus. Quand il boit, cela le rend fou, il ne peut avaler deux petits verres sans avoir le besoin de manger un homme; il a la haine de l’eau-de-vie, la haine du dernier enfant d’une race d’ivrognes, qui souffre dans sa chair de toute celte ascendance trempée et détraquée d’alcool [48]. Étant à Lille dans un atelier de chemin de fer, il a été chassé pour avoir giflé son chef. Une crise industrielle sévit; il fait des courses inutiles pendant huit jours, aucun travail à Marchiennes, plus un sou, pas même une croûte. Au travers de la campagne nue, le vent de mars roule un cri de famine. Après une marche de nuit, Étienne arrive tout grelottant à la fosse du Voreux, tassée au fond d’un creux à deux kilomètres de Montsou; avec ses constructions trapues de briques et sa cheminée dressée comme une corne menaçante, la fosse a un air mauvais de bête jalouse, accroupie là pour manger le monde. Toussaint Maheu embauche Étienne comme hercheur; il va gagner trente sous par jour, à un rude travail de manœuvre. Mais il ne partage point la résignation du troupeau qui vit et souffre dans la mine; dès le premier jour, il partirait, il reprendrait sa course affamée le long des routes, s’il n’était retenu par les yeux clairs de Catherine Maheu. A son inconscient amour pour la hercheuse, que le grand Chaval va prendre sous ses yeux et lui disputera jusque dans la mort, se mêle un souffle de colère devant la besogne trop dure, devant l’humiliation d’être, sous la terre, une bête qu’on aveugle et qu’on écrase. Il restera pour peiner et se battre.
Est-il possible que des hommes se tuent à un si rude métier, dans celte nuit mortelle, et qu’ils n’y gagnent même pas les quelques sous du pain quotidien? Il songe violemment à ces actionnaires anonymes qui possèdent la fosse, à ce dieu repu, auquel dix mille affamés donnent leur chair sans le connaître [78]. Une prédisposition de révolte le jette à la lutte du travail contrôle capital et, comme il est resté en correspondance avec son ancien contre-maître Pluchart, il veut créer à Montsou une section de l’Internationale, pour dicter des lois aux patrons s’ils font les méchants [157]. C’est un fonds d’idées obscures, endormies en lui, qui s’agite et s’élargit. Il méprise la boisson et les filles, il donnerait tout pour la justice, une seule chose lui chauffe le cœur, c’est l’idée qu’on va balayer les bourgeois. Plus instruit que ses nouveaux camarades, il grandit dans l’estime de tous, son influence se développe, il fonde une caisse de prévoyance, arme précieuse en cas de grève. Pour résoudre la question sociale, il se met à l’étude, il s’affole de science, des lectures mal digérées achèvent de l’exalter, il mêle en son esprit les revendications pratiques de Rasseneur et les violences destructives de Souvarine, confondant tous les systèmes, empruntant des lambeaux d’idées à Proudhon, à Lassalle, à Karl Marx, et n’étant sûr que d’une chose, c’est que la vieille société n’en a plus que pour quelques mois.
Il endoctrine les Maheu. Ou n’est plus au temps du père Bonnemort. où le mineur vivait dans la mine comme une brute, comme une machine à extraire la houille, toujours sous la terre, les oreilles et les veux bouchés aux événements du dehors; à présent, le mineur s’éveille, il germe dans la terre ainsi qu’une vraie graine, et l’on verra, un clair matin, pousser au beau milieu des champs. une armée d’hommes qui rétabliront la justice [186]. On l’écoute, on croit à des solutions miraculeuses, ses auditeurs ont la foi aveugle des nouveaux croyants, pareils à ces chrétiens des premiers temps de l’Église, qui attendaient la venue d’une société parfaite, sur le fumier du Monde antique [190]. Et depuis qu’il se sent penser, un orgueil lui est venu; c’est une transformation lente,; des instincts de coquetterie et de bien-être, endormis dans sa pauvreté, se réveillent, il a des satisfactions d’amour-propre délicieuses, tout un affinement extérieur, des vêtements de drap, des bottines fines, il se grise des premières jouissances de la popularité, il agrandit soit rêve d’une révolution prochaine où il jouera un rôle [192].
La grève déclarée, il en devient, le chef incontesté, il préconise le calme, impose une discipline, rend des oracles et tranche en toutes choses. C’est un continuel gonflement de vanité. Si la conscience de son manque d’instruction lui laisse encore à certaines heures une inquiétude sur sa mission, ce malaise est fugitif; sa vision de chef populaire le remet d’aplomb, il aperçoit Montsou à ses pieds, Paris dans un lointain brouillard, la députation un jour, la tribune d’une salle riche où il ira foudroyer les bourgeois du premier discours prononcé par un ouvrier dans un Parlement [255]. Il disait autrefois qu’on doit bannir la politique de la question sociale, aujourd’hui il veut qu’on s’empare du gouvernement avant tout [269]. Les affectations de prudence de Rasseneur l’ont poussé à une exagération sectaire, l’emportant malgré lui au delà de ses idées vraies, dans ces fatalités des rôles qu’on ne choisit pas soi-même. Ses instincts de race le détournent de la sombre conception de Souvarine, l’extermination du monde, fauché comme un champ de seigle, à ras de terre; il n’en est qu’à la destruction de l’État, à la refonte totale de la société pourrie. Pour que la grève soit victorieuse, il faut agir révolutionnairement, sans attenter à la vie des personnes [358]. Mais dans la marche au travers des fosses, Étienne souffre d’abord en son orgueil de chef, quand il voit la bande échapper à son autorité, s’enrager en dehors de la froide exécution des volontés du peuple, telle qu’il l’a prévue [361], malgré lui, les grévistes coupent les câbles, éteignent les feux, vident les chaudières. Peu à peu cette fringale de destruction le prend à son tour. Il ne se soutenait depuis le matin que par du genièvre; à présent, une ivresse mauvaise, l’ivresse des affamés, ensanglante ses yeux, fait saillir des dents de loup entre ses lèvres pâlies [377]; c’est lui qui lance ses hommes contre la fosse Gaston-Marie, qu’il avait sauvée le matin; il s’exalte de leur fureur et, de violence en violence, les mène dans Montsou, à l’assaut de la maison de Maigrat [408].
L’heure de la répression va venir; caché en une galerie du Réquillard, dans la caverne de Jeanlin Maheu, il achève de se désaffectionner de sa vie d’ouvrier, il voudrait lâcher la mine, travailler uniquement à la politique, mais loin des promiscuités du coi-on, seul dans une chambre propre, car les travaux de tète absorbent la vie entière et demandent beaucoup de calme [424]. Il ne désire pas la fin de la grève, qui serait aussi la fin de son rôle et, d’ailleurs, il recule devant l’enragement qui est son œuvre, il n’ose pas conseiller la soumission, il se réconforte en pensant aux brèches ouvertes dans les dividendes des actionnaires, il fait un impossible rêve, les soldats fraternisant avec le peuple [432]. Enfin, tout s’écroule, les mineurs, qui vivaient dans l’attente religieuse du miracle, sont fauchés à coups de fusil. C’est aussitôt le revirement des lendemains de défaite, le revers fatal de la popularité; les convaincus d’hier lapident Étienne à coups de brique et, dans le désespoir tragique de son ambition perdue, il a l’amertume de trouver un refuge chez Rasseneur, son adversaire politique [501].
Mais un dernier drame l’attend au Voreux, où l’a ramené son amour pour Catherine; avec celle-ci, avec Chaval, il est prisonnier de l’inondation; une rancune s’est amassée en lui contre son odieux rival, leur destinée veut qu’ils se disputent la petite hercheuse jusqu’au bout et la bataille de là-haut recommence dans l’étroite cave où ils agonisent. C’est une poussée de la lésion héréditaire qui fait d’Étienne un meurtrier; il tue Chaval, Catherine est à lui, leur triste union s’accomplit dans l’angoisse de la mort. Et après de longs jours d’ensevelissement, Etienne survit seul à la catastrophe de la mine, il reparaît au jour, décharné, les cheveux tout blancs [577]; six semaines d’hôpital le remettent debout et il s’en va un matin vers Paris, parcourant une dernière fois le pays noir, la contrée domptée et toute frémissante encore, où pousse dans le sol toute la germination des révoltes futures.(Germinal.)
A Paris, plus tard, il s’est compromis dans l’insurrection de la Commune. Condamné à mort, puis gracié et déporté, il vit à Nouméa, s’y marie et devient père d’une petite fille [129], qui paraît bien portante [385]. (Le Docteur Pascal.)
(l) Étienne Lantier, né en 1846. [Mélange dissémination. Ressemblance physique de la mère, puis du père]. Mineur. Vit encore à Nouméa, déporté. Marié là-bas, dit-on, et a des enfants, peut-être, qu’on ne peut classer. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)