La Maheude

— Femme de Toussaint Maheu. Déjà déformée à trente-neuf ans, elle a une figure longue, aux grands traits, d’une beauté lourde [19]. Elle est descendue aux mines jusqu’à vingt ans, le médecin a dit qu’elle y resterait, lorsqu’elle a accouché la seconde fois, parce que ça lui dérangeait quelque chose dans les os [102]. C’est à ce moment qu’elle s’est mariée et dès lors elle est restée au coron; cinq autres enfants sont venus. Dans ce milieu, la misère héréditaire fait de chaque petit un gagne-pain pour plus tard, un fils ne doit se marier que lorsqu’il a rendu à ses parents l’argent qu’il leur a coûté. Aussi la Maheude consent-elle avec peine au mariage de son aîné Zacharie [176]; de même Catherine devenue la maîtresse de Chaval la désole, car c’est encore une brèche aux maigres ressources de la maison. Elle a un grand bon sens dans les questions de travail, elle calme son homme exaspéré par les exigences des chefs, elle déclare qu’on n’a rien à gagner à se buter contre la Compagnie [130].

Pourtant l’éternelle misère la révolte et, si elle a d’abord refusé d’entendre Etienne Lantier et son rêve d’une humanité meilleure, le charme agit lentement sur son esprit, elle entre dans le inonde merveilleux de l’espoir, l’idée de justice la passionne [189]. Son esprit de bonne ménagère l’a d’instinct rendue hostile A la grève, mais le malheur s’acharne trop, les aînés sont partis, Jeanlin a été estropié dans un éboulement, le vieux Bonnemort est perclus de rhumatismes, il faut vivre à sept sur les trois francs du père ; raisonnablement, l’heure semble venue d’obtenir justice [256]. Plus tard, l’excès du malheur fera d’elle la plus acharnée à ne pas se rendre, elle. ne voudra pas avoir pour rien crevé pendant, deux mois, vendu son ménage, vu Alzire mourir de faim et ses autres enfants mendier sur les routes. Longtemps elle est restée modérée, à présent c’est elle qui excite Maheu à jeter des briques aux soldats et, même lorsqu’elle le voit tué par une halle, même brisée dans cette terrible chute du haut de l’idéal, elle s’exaspère encore contre ceux qui parlent de retourner à la fosse [498].

Il faut d’autres malheurs, Zacharie calciné par le grisou, Catherine ensevelie dans le Voreux, pour que la mère tragique retrouve son ancien calme de femme raisonnable. On lui fait alors l’exception charitable de l’admettre à quarante ans aux travaux de la mine, on lui donne trente sous par jour pour tourner une roue pendant dix heures, sous l’enfer du Tartaret, au fond d’un boyau ardent. Et comme il faut nourrir les petits, elle vit là, les reins cassés, la chair cuite par quarante degrés de chaleur, uniquement soutenue par le sourd travail qui s’est fait en elle, la certitude que l’injustice ne peut durer davantage, et que s’il n’y a plus de bon Dieu, il en repoussera un autre, pour venger les misérables [585]. (Germinal.)