Maigrat

— Le principal débitant de Montsou. Ancien surveillant du Voreux, il avait débuté par une étroite cantine; puis, grâce à la protection des chefs, son commerce s’est élargi, tuant peu à peu le détail. Il centralise les marchandises, la clientèle considérable des corons lui permet de vendre moins cher et de faire des crédits plus grands. D’ailleurs, il est resté dans la main de la Compagnie, qui lui a bâti sa petite maison et son magasin, séparés par un simple mur de l’hôtel du directeur Hennebeau. Maigrat possède là un entrepôt, un long bâtiment qui s’ouvre sur la route, en une boutique sans devanture ; il y tient de tout, de l’épicerie, de la charcuterie, de la fruiterie, y vend du pain, de la bière, des casseroles.

Gros, froid et poli, autoritaire et rapace, il accorde difficilement une prolongation de crédit, mais comme il a du goût pour les hercheuses, un mineur qui veut l’attendrir n’a qu’à lui envoyer sa femme ou sa fille, laides ou belles, pourvu qu’elles soient complaisantes [98]. Pendant la grève, il a mis les femmes en fureur par sa grossièreté et son entêtement à refuser toute fourniture sans argent comptant; s’il affame l’ouvrier, c’est pour répondre au désir des chefs, pressés d’en finir, mais il a ainsi attiré sur sa maison bondée de vivres la colère des ventres creux et c’est là, devant la porte close, que s’acharnent les grévistes en criant : « Du pain ! II y a du pain là-dedans! Foutons la baraque à Maigrat par terre!» L’assiégé pourrait fuir, il revient, au contraire, car en lui l’avarice est plus forte que la lâcheté ; il veut défendre son bien et va gagner son magasin par le toit, lorsque, tremblant de peur, il glisse le long des tuiles et vient s’écraser le crâne à l’angle d’une borne.

Alors, les femmes, prises de l’ivresse du sang, entourent le cadavre encore chaud, elles l’insultent avec des rires, hurlait à la face du mort la longue rancune de leur vie sans pain ; la Maheude lui emplit la bouche de deux poignées de terre, il ne mangera plus autre chose maintenant ; lu Brûlé le coupe comme un matou, vengeant toutes celles qui ont souffert de sa bestialité. Et l’abominable trophée, le paquet de chair velue et sanglante, est planté au bout d’un bâton et promené dans Montsou, ainsi qu’un drapeau [415]. (Germinal.)