Maugendre

— Beau-père de Jordan. Avait à la Villette une manufacture de bâches où il a gagné quinze mille francs de rente. Gros homme calme et chauve, à favoris blancs. S’est retiré avec sa femme en un petit hôtel, avec un beau jardin, rue Legendre. Les deux époux vivent trop grassement, s’ennuyant à ne plus rien faire. C’est à contre-cœur qu’ils ont vu leur fille Marcelle épouser Jordan, jeune écrivain dont le père est mort ruiné. Ils se méfient d’un poète, croient avoir beaucoup fait en consentant au mariage et n’ont rien donné, sous le prétexte que Marcelle, après eux, aura leur fortune intacte, engraissée d’économies [19].

Dans sa vie désœuvrée, l’ancien fabricant, qui tonnait autrefois contre les agioteurs, s’est intéressé à la cote de la Bourse, lue chaque soir dans le journal. Une somme importante lui rentre un jour, il a l’idée de l’employer en reports, un simple placement, pas encore de la spéculation ; puis la fièvre commence à le brûler, devant la danse des millions, dans cet air empoisonné du jeu. Un gain de six mille francs achève de le détraquer, il se met à opérer, d’abord au comptant, puis à ternie, petitement pour commencer, s’enhardissant chaque fois davantage, malgré les premières résistances de sa femme et le blâme formel de son beau-frère Chave [202]. Le coup de Sadowa lui a fait perdre cinquante mille francs [215]. Il croit réparer le mal en achetant cinquante actions de l’Universelle au cours de douze cents francs; il les voit progressivement monter et en achète encore; on dépasse le cours de trois mille francs; une première baisse laisse intacte la foi de Maugendre dans le génie de Saccard ; pour se rattraper, il joue à découvert, achetant toujours, et à l’heure définitive de l’effondrement, c’est un désastre irréparable, d’énormes différences à payer, plus de deux cent mille francs, qui achèveront d’emporter la fortune gagnée si rudement par trente années de travail [386]. (L’Argent.)