Pecqueux

— Chauffeur de la Compagnie de l’Ouest. Marié à la mère Victoire, ancienne nourrice de Séverine Aubry. C’est un grand gaillard de quarante-trois ans, maigre avec de gros os, la face cuite par le feu et par la fumée ; ses yeux gris sous le front bas, sa bouche large dans une mâchoire saillante, rient d’un continuel rire de noceur. Natif d’un village près de Rouen, il est entré tout jeune dans la Compagnie, comme ouvrier ajusteur. Puis, à trente ans, s’ennuyant à l’atelier, il a voulu être chauffeur, pour devenir mécanicien. C’est alors qu’il a épousé Victoire, du même village que lui. Mais les années s’écoulent, il reste chauffeur, gagnant, tant pour les primes que pour le fixe, deux mille huit cents francs par an, et mangeant tout en bombance, aux deux boots de la ligne; jamais, maintenant, il ne passera mécanicien, car il est sans conduite, sans bonne tenue, buveur, coureur de femmes, et devient même à craindre lorsqu’il est ivre, car il se change alors en vraie bête brute, capable d’un mauvais coup.

Son existence est réglée : il a deux femmes, une à chaque extrémité du parcours, son épouse Victoire à Paris, pour les nuits qu’il y couche, et Philomène Sauvagnat, au Havre, pour les heures d’attente qu’il passe là-bas. Entre Victoire trop grasse et Philomène trop maigre, il répète par farce qu’il n’a plus besoin de chercher ailleurs [81]. Pecqueux a un dévouement de chien pour son mécanicien, Jacques Lantier, qui couvre ses vices; tous deux forment avec leur machine, la Lison, un vrai ménage à trois, uni par la même besogne et les mêmes dangers, sans jamais une dispute [165]. Plus tard, cette bonne entente est rompue, la Lison meurt dans la catastrophe de la Croix-de-Maufras [336], Philomène excite la colère jalouse du chauffeur en se montrant trop empressée à plaire au mécanicien, la vie devient un enfer sur l’étroit plancher où vivent les deux rivaux, leur haine grandit et, un jour où le train emporte vers la Prusse dix-huit wagons de soldats criants et chantants, Pecqueux en qui une ivresse mauvaise a déchaîné la brute, saisit brusquement Jacques à bras-le-corps pour le pousser hors de la plate-forme; cramponnés l’un à l’autre, ils sont entraînés sous les roues par la réaction de la vitesse et ces deux hommes, qui avaient longtemps vécu en frères, sont coupés, hachés dans leur étreinte, réduits à l’état de troncs sanglants, se serrant encore comme pour s’étouffer [414]. (La Bête humaine.)