Picot

— Soldat d’infanterie. Appartient à la première division du 7e corps, engagée à Frœschwiller, où toute une armée allemande est tombée sur les quarante mille Français de Mac-Mahon. Ceux-ci avaient évacué, le malin, le gentil village de Wœrth et, tout le jour, se sont usé les dents et les ongles pour le réoccuper ; on s’est cogné ensuite autour d’Elsasshausen, les Français ont été canardés par un tas de canons qui tiraient à leur aise du haut d’une colline, lâchée aussi le matin; et il n’est resté d’autre ressource que de sacrifier inutilement les cuirassiers. On s’est battu longtemps dans Frœschwiller ; un autre que Mac-Mahon aurait refusé la bataille, puisqu’on n’était pas de force, il a tenu jusqu’au bout ; pendant près de deux heures, les ruisseaux ont roulé du sang. Et alors que la gauche culbutait les Bavarois, la droite et le centre ont dû céder, les régiments débandés, démoralisés, affamés, ont fui à travers champs, les grands chemins ont vu une affreuse confusion d’hommes, de chevaux, de voitures, de canons, toute la débâcle d’une armée détruite, fouettée du vent fou de la panique. Au heu de faire sauter les ponts, de combler les tunnels, les généraux ont galopé dans l’effarement, et une telle tempête de stupeur a soufflé, emportant à la fois les vaincus et les vainqueurs, qu’un instant les deux armées se sont perdues, dans celte poursuite à tâtons [65].

Picot, roulé dans la fatigue et dans la déroute, est resté à demi mort de fatigue au fond d’un fossé, avec son camarade Coutard, du ler corps. Traînant dès lors la jambe à la queue de l’armée, forcés de s’arrêter dans les villes par des crises épuisantes de fièvre, ils arrivent seulement le 22 août à Reims, un peu remis, en quête de leur escouade. Ils sont dans une déchéance lamentable de soldats sans armes, vêtus de pantalons rouges et de capotes si rattachées de ficelles, rapiécées de tant de lambeaux différents, qu’ils ressemblent à des pillards, à des bohémiens, achevant d’user la défroque de quelque champ de bataille [61]. (La Débâcle.)