Quenu

— Frère de Florent, que sa mère eut d’un premier lit. Mari de Lisa Macquart et père de Pauline. Né au Vigan. Son père est mort lorsqu’il avait deux ans, le laissant pour tout héritage à sa mère. Madame Quenu avait mis toutes ses espérances en Florent, intelligent et doux, et elle a négligé ce second fils trop gras, trop satisfait. Le petit Quenu galopine avec des culottes percées; sa mère meurt lorsqu’il a douze ans. Florent qui ne soupçonnait rien retrouve son frère dans une misère d’enfant perdu. Il se prend pour lui d’une tendresse paternelle, l’emmène à Paris et, dévoué jusqu’au sacrifice, abandonne ses études, courant le cachet, élevant ce jeune frère au logis comme un enfant gale [48].

Quenu est alors un petit bonhomme tout rond, un peu bêta, mais d’une bonne humeur inaltérable. Incapable de travaux plus compliqués, il fait le ménage et la popote, arrive ainsi à dix-huit ans, toujours traité comme une demoiselle, décide qu’il devra gagner sa vie et, après quelques essais infructueux, trouve enfin sa voie en apprenant la cuisine chez le rôtisseur Gavard. De cérébralité nulle, Quenu ignore les hautes pensées de son frère; il engraisse dans la joie. L’aventure du coup d’État, Florent jeté dans une casemate de Bicêtre et transporté à Cayenne, cette tragique secousse donne à Quenu, alors âgé de vingt-deux ans, une fièvre qui le laisse hébété pendant trois semaines; puis la bonne humeur l’emporté. Quenu est entré chez son oncle Gradelle, rue Pirouette, pour apprendre la charcuterie, cette existence l’enchante et, sevré d’argent, brutalisé parfois, il est parfaitement satisfait [35].

Bientôt Gradelle prend une fille de boutique, Lisa Macquart, qui produit une profonde impression sur Quenu. L’amour va être chez eux une bonne amitié dans une paix heureuse, ils s’épousent raisonnablement après la mort subite du vieux Gradelle, unissant les fonds de l’héritage aux dix mille francs de Lisa et ils quittent bientôt la rue Pirouette pour fonder, rue Rambuteau, une belle charcuterie, toute brillante de glaces. Cinq ans après, ils ont déjà quatre-vingt mille francs placés en bonnes renies. Une fille leur est née, Pauline, grosse et belle enfant qui leur fait honneur dans le quartier. Jusqu’en 1856, de loin en loin, Quenu a reçu des lettres de Florent, puis les lettres ont cessé et, comme un journal annonce que trois évadés de l’île du Diable se sont noyés avant d’atteindre la côte, il en a conclu que son frère était mort et il l’a pleuré [65].

Lorsque Florent revient, Quenu a trente ans. Il est gras, il déborde dans sa chemise, dans son tablier, dans ses linges blancs qui l’emmaillotent comme un énorme poupon. Sa face rasée s’est allongée, elle a pris à la longue une lointaine ressemblance avec le groin de ses cochons. Il accueille avec joie ce revenant dont il n’a pas oublié la tendresse de jadis, il l’abrite sous son toit et resterait placidement heureux si Lisa ne soulevait la question de l’héritage à partager. Son avarice, rassurée par le désintéressement de Florent, le jette plus tard dans un trouble profond ; lorsque son frère demande quelques acomptes, il s’affole devant ces billets de mille francs volatilisés, il perd sa belle humeur, sa graisse jaunit et, ayant une peur atroce de compromettre sa santé, il donne blanc seing à Lisa pour être délivré de ce Florent qui le rend malade. Un gros chagrin l’agite lorsqu’on arrête son frère, il se reproche de l’avoir livré, mais c’est une courte crise [353], vite apaisée dans la plénitude du bonheur reconquis. (Le Ventre de Paris.)

Il perd sa femme en 1863 et meurt six mois après, d’une attaque d’apoplexie, laissant sa fille Pauline sous la tutelle du cousin Chanteau, maire de Bonneville [3]. (La Joie de vivre.)

(l) Quenu, sain et pondéré, marié à Lisa Macquart en 1853. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)