— Tient un cabaret entre le coron des Deux cent quarante et la fosse du Voreux, avec cette enseigne : A l’Avantage. Très bon ouvrier jadis, parlant bien, il se mettait à la tête de toutes les grèves et avait fini par être le chef des mécontents. La Compagnie l’a congédié, il a trouvé de l’argent et a planté son cabaret en face du Voreux, comme une provocation. C’est un gros homme de trente-huit ans, rasé, à la figure ronde, au sourire débonnaire. Sa maison est en pleine prospérité, il devient un centre, il s’enrichit des colères qu’il a peu à peu soufflées au cœur de ses anciens camarades [73]. Les théories socialistes lui sont étrangères; il prétend demander seulement le possible aux patrons, sans exiger, comme tant d’autres, des choses trop dures à obtenir [75].
Ce qui fait son influence sur les ouvriers des fosses, c’est la facilité de sa parole, la bonhomie avec laquelle il peut leur parier pendant des heures, sans jamais se lasser; il ne risque aucun geste, reste lourd et souriant, les noie, les étourdit, jusqu’à ce que tous crient : « Oui, oui, c’est bien vrai, tu as raison ! » Une rivalité éclate entre lui et un nouveau venu, Étienne Lantier, qui, sans respect pour sa situation acquise, apporte aux mineurs des idées nouvelles.
La jalousie de Rasseneur s’aggrave bientôt de la désertion de son débit, où les ouvriers du Voreux entrent moins boire et l’écouter [4971. Aussi eu arrive-t-il parfois à défendre la Compagnie, oubliant sa rancune d’ancien haveur congédié; il se déclare même contre la grève, uniquement parce qu’elle est préconisée par Étienne et qu’à son avis, ce dernier augmente sans doute le gâchis pour y pêcher une position [269]. Cette attitude rend très vite Rasseneur impopulaire; dans la forêt de Vandame, on le hue, on crie : « A bas le traître! » [323]. Mais, après la grève de Montsou, après l’écrasement qu’il avait prédit, l’inconstance des foules s’exerce en sa faveur; c’est lui, cette fois, qui sauve Étienne, et il retrouve sa popularité sans effort, naturellement [501]. (Germinal.)