Rose

Fille du concierge de la sous-préfecture, à Sedan. Petite blonde, à l’air délicat et joli. Travaille à la fabrique Delaherche. Le 31 août et le 1er septembre 1870, pendant que l’armée succombe sous le fer, elle assiste aux va-et-vient des officiers de l’état-major général. Son impression est qu’ils ont tous l’air d’être fous, toujours du inonde qui arrive, et les portes qui battent, et des gens qui se fâchent, et d’autres qui pleurent, et un vrai pillage dans la maison, les chefs buvant aux bouteilles, couchant dans les lits avec leurs bottes. Le maréchal de Mac-Mahon a bien dormi, tandis que l’empereur, souffrant de son affreuse maladie, gémissait toute la nuit, criant à vous faire dresser les cheveux sur la tète ; de tout ce inonde, d’ailleurs, c’est encore lui le plus gentil et qui tient le moins de place, dans le coin où A se cache pour crier [256]. Le matin du 1er, avant de partir vers les avant-postes, il s’est fait peindre la figure, pour ne pas promener, parmi son armée, l’effroi de son masque blême, décomposé par la souffrance, au nez aminci, aux yeux troubles [220]. Dans l’après-midi, Rose l’a vu sortir encore et aller sous les obus, jusqu’au pont de Meuse, puis lentement revenir, en fataliste résigné qui comprend que son destin lui refuse la mort d’un soldat. Et lorsque Napoléon III, sous le coup du sort qui brise et emporte sa fortune, réclame un armistice pour mettre fin à l’égorgement, c’est la jeune fille qui fournit une nappe à l’officier chargé de hisser le drapeau blanc.

Dans le trouble général, Rose est restée d’une fraîcheur gaie, avec ses cheveux fins, ses yeux clairs d’enfant qui s’agite, au milieu de ces abominations, sans trop les comprendre [329]. Elle voit le tumulte causé par l’annonce de la capitulation, des officiers arrachant leurs épaulettes et pleurant comme des enfants, un vieux sergent frappé de folie subite et traitant les chefs de lâches, des cuirassiers jetant leur sabre à l’eau, des artilleurs précipitant le mécanisme de leurs mitrailleuses au fond des égouts, certains enterrant ou brûlant des drapeaux, beaucoup semblant hébétés, d’autres, le plus grand nombre ayant des yeux qui rient d’aise, un allégement ravi de toute leur personne, devant le bout de leur misère, après tant de jours où ils ont souffert de trop marcher et de ne pas mange [399]. (La Débâcle.)